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De quelle liberté d’expression parle-t-on ? (Par Abdoul Aziz DIOP)

Résumé
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De quelle liberté d’expression parle-t-on ? (Par Abdoul Aziz DIOP)

De quelle liberté d’expression parle-t-on ?

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Dans un post publié sur le réseau professionnel LinkedIn, le Directeur de la Radio télévision sénégalaise (RTS), Pape Alé Niang, se prononce, sans mentionner le nom, sur la convocation de l’éveilleur de conscience Moustapha Diakhaté par la trop zélée Division spéciale de la cybersécurité (DSC) et sa garde à vue abusive qui précéda sa scandaleuse condamnation à deux mois de prison ferme  par le tribunal des flagrants délits de Dakar pour les chefs d’accusation fantaisistes portant sur le vocabulaire utilisé par le prévenu dans un entretien en langue nationale ouolof accordé à une journaliste. Dans son parti pris, M. Niang écrit d’emblée : «Dire que le Sénégal est sous une dictature où l’on assiste à des dérives autoritaires dans ce pays, c’est être de mauvaise foi.» Se passe alors de commentaire la question que le patron de la RTS pose dans la foulée : «Qui ose comparer le Sénégal d’aujourd’hui à celui de l’ère Macky Sall où la répression et la persécution, avec des méthodes barbares, ont été érigées en mode de gouvernance ?» Pape Alé répond lui-même : «Aucune liberté d’expression n’est menacée dans le Sénégal sous la présidence de Bassirou Diomaye Diakhar Faye. Bien au contraire.» Pour avoir tranché le débat sur la liberté d’expression avant même de l’avoir posé comme il se doit, Pape Alé Niang délibère pour son compte personnel et celui du nouveau régime en s’appuyant sur les idées de «responsabilité» et d’«auto-censure» du sujet qui s’exprime librement.

De la responsabilité et de l’auto-censure

Sur la responsabilité irrévocable, sur l’irrépressible auto-censure et sur l’importance de cette deuxième notion pour la première, le Directeur de la RTS s’efforce de convaincre sans donner le sentiment d’être gêné par son parti pris antérieur à son raisonnement. Voici in extenso ce qu’écrit Pape Alé Niang : «La liberté d’expression est un droit fondamental qui permet aux individus d’exprimer leurs opinions, leurs idées et leurs croyances sans crainte de répression ou de persécution. Mais cela signifie-t-il s’arroger le droit d’insulter, de calomnier, de diffamer en toute impunité ? La liberté d’expression n’est pas absolue et doit être encadrée par la responsabilité.

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La responsabilité joue un rôle clé dans l’encadrement de la liberté d’expression. Chaque individu doit comprendre que ses paroles et ses écrits peuvent avoir des conséquences sur les autres et qu’il doit être prêt à en assumer la responsabilité. La conscience de cette responsabilité individuelle contribue à promouvoir un dialogue sain, constructif et respectueux.

Rivaliser d’ardeur à travers des déclarations fracassantes, le plus souvent idiotes, croyant faire le buzz, c’est manquer carrément de discernement. Car l’homme politique averti, l’analyste ou le chroniqueur est celui qui a l’intelligence situationnelle. C’est-à-dire cette capacité à comprendre une situation, à décrypter sa complexité pour s’y adapter à travers un discours dépouillé et perspicace.

Pour cela, l’autocensure consciente est essentielle. L’autocensure est la capacité d’un individu à réfléchir sur ses propres paroles et à choisir de ne pas diffuser des informations ou des opinions qui seraient préjudiciables ou nuisibles. L’autocensure consciente repose tout simplement sur la volonté individuelle de ne pas heurter et de respecter l’autre.

Autrement dit, même si la liberté d’expression est un droit fondamental, il est essentiel de l’encadrer par la responsabilité. Et être responsable, c’est se faire respecter.»

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Si l’auteur de ce plaidoyer s’était abstenu de pendre parti dès le début de son texte, sa réflexion sur la liberté d’expression aurait eu le mérite de correspondre à la liberté limitée de celui qui s’exprime par celle de celui à qui la parole est adressée. La liberté d’expression d’untel ou d’untel s’arrête alors – postulat kantien – là où commence la liberté d’impression d’autrui. Mais, il y a beaucoup mieux, correspondant au passage d’une liberté de l’individu limitée par une responsabilité individuelle au nom d’une censure individuelle appelée autocensure.

De l’individu au collectif national

La faiblesse du post de Pape Alé Niang est de n’avoir invoqué la liberté d’expression en ne songeant qu’à l’adversaire qui s’exprime, oubliant l’autre partie maintenant aux commandes et totalement exemptée de tout abus de pouvoir bien qu’elle se soit autorisée à parrainer une police du vocabulaire des communications politiques.

En procédant de la sorte, Pape Alé Niang discrimine les trois acteurs, tous légitimés à se prononcer sur la chose politique. Ces acteurs sont les hommes politiques, les journalistes et le grand public à qui plus rien – ni même le dernier document de la haute administration – n’échappe.

Le Directeur de la RTS peut lui-même tenir sa mémoire de «journaliste persécuté» sous Macky Sall pour responsable de la discrimination, dans son post, des acteurs en lice. Imaginons alors ce que serait son texte si le journaliste  se faisait violence en se neutralisant. Sa salve serait du coup celle qui renvoie dos à dos pouvoir et opposition au nom d’une responsabilité collective qui embrasse tout le corps social. À cet instant précis, l’homme des médias aurait fait don de sa personne pour revendiquer une réflexion qui fait autorité.

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Quel intérêt aurait notre tribune si nous nous y efforçions seulement de montrer que ce dont Moustapha Diakhaté est accusé aujourd’hui n’est pas plus grave que ce dont avait été accusé les «proscrits» d’hier ? Aucun vraiment du fait du dialogue de sourds que nous aurions délibérément choisi au lieu de débattre vraiment du sujet d’intérêt général !

Parce qu’il concerne tout le collectif national, l’intérêt général fait appel à la responsabilité collective, elle-même tributaire de la neutralisation collective qui déteint sur chaque individu pris séparément. Il en résulte une liberté d’expression réalisée – postulat hégélien – plus étendue que la liberté d’expression limitée dont Pape Alé fait l’apologie en choisissant, hélas, sa chapelle politique.

L’idée que nous avons une liberté d’epression à réaliser collectivement suppose, pour que nous y arrivions, que personne, vraiment personne, ne soit inquiétée à ce stade de la nouvelle conquête démocratique.

Tous donc libres ! Moustapha Diakhaté compris.

En faisant appel de la condamnation de l’éveilleur de conscience à deux mois de prison ferme, les avocats de l’ancien président de groupe à l’Assemblée nationale donnent une occasion inattendue à tous les parties de participer à la décrispation générale sans perdre la face. Le début de la nouvelle législature, la quinzième du genre, dans une atmosphère détendue en dépend aussi.

Moustapha Diakhaté libre !

Abdoul Aziz DIOP

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